Joseph Kabila et les musiciens congolais : un mariage de dupes

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Excuses pour le documentaire de France 24 : pourquoi je soutiens le gouvernement Par Roland Rugero lundi 12 décembre 2011 à 07 : 04 : 00 En regardant ce reportage évoquant "une nouvelle rébellion burundaise basée à l’Est de la RDC" et en lisant les motifs qui ont poussé à sa réalisation, je suis choqué et meurtri par un tel mépris pour l’histoire de mon pays. Et pour des raisons autres que celles du gouvernement, la demande est néanmoins la même : " Madame Pauline Simonet, ayez le courage de présenter vos excuses au peuple burundais. " Pauline Simonet, reporter à France 24. Dans son texte sur www.france24.com, la journaliste Pauline Simonet, introduisant son reportage écrit : " Ce jeudi 1er décembre est le premier jour de diffusion de notre Reporter sur la nouvelle rébellion et sur les tensions politiques au Burundi. Mais le signal de France 24 est soudainement brouillé dans le pays. Je reçois de nombreux appels de Burundais, frustrés. Les occasions sont si rares de voir des reportages sur leur pays dans les médias internationaux. " J’ai relu à plusieurs reprises cette dernière phrase, qui me consterne : " Les occasions sont si rares de voir des reportages sur leur pays dans les médias internationaux ... " Ainsi, pour montrer le Burundi sur un si grand médium international, il faut attendre l’occasion de l’annonce d’une guerre en perspective. Pourtant, depuis des années, les Burundais travaillent. Pourtant, pour montrer le Burundi dans un élan si humain, pour ne pas dire humanitaire, on pourrait prendre sa caméra et montrer les 14 sites touristiques que propose le jeune Avry, 26 ans, avec sa nouvelle agence de tourisme... Pourtant, pour ces "Burundais frustrés que le reportage n’ait pas été diffusé" ainsi que pour Madame Simonet, dont on aura compris qu’ils sont très soucieux de l’image du Burundi à l’étranger, des reportages auraient pu, aussi, s’intéresser au premier Festival de Cinéma du Burundi (largement soutenu par la Coopération française) qui tenait en 2011 sa troisième édition ; au premier Colloque Littéraire de l’histoire de la sous-région réunissant 24 écrivains du Burundi, du Rwanda et de la RDC rassemblés autour de deux mots (Unité et Renaissance) et d’une langue (le Français) ; ... Pourtant, France 24 pourrait, s’il tenait vraiment à faire découvrir le Burundi à ses millions de spectateurs, accorder 15 minutes de reportage sur les défis et les avantages de l’intégration du pays des Tambours sacrés à la Communauté Est-Africaine (133 millions d’habitants). Justement, quelques jours avant ce 1er décembre 2011, l’Institut Français du Burundi offrait un très bon débat, hautement géopolitique sur le Bassin du Lac Tanganyika et le Burundi, animé entre autres par les Professeurs Christian Thibon, historien, Directeur de l’Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA) de Nairobi et Alain Cazenave-Piarrot, géographe, Maître de Conférences en Géographie à l’Université de Toulouse Le Mirail. Le "général Moïse" présenté dans le documentaire comme le chef d’une nouvelle rebellion. Non ! De tout cela, rien ! Depuis 2006 (année de création de France24), de ces huit millions de Burundais qui se cherchent, qui tentent de créer une autre destinée de leur histoire, maladroitement, douloureusement, avec une incroyable énergie d’espérer, même dans les instants les plus durs, rien ! Sur ces journalistes burundais si déterminés, précurseurs de la "synergie des médias" qui a tant apporté de positif aux processus électoraux de 2005 et 2010, un concept internationalement loué pour son efficacité en période électorale ; sur cette société civile burundaise, jeune et ambitieuse, rien ! Depuis 2008 jusqu’à l’heure où je vous parle, surwww.france24.com, aucune vidéo qui parle d’une rencontre humaine burundaise qui donne envie d’espérer, qui reflète une population, et j’insiste " qui en a assez de la guerre ! ". Ou si... En août 2010, on s’y intéressait à l’Italienne Martina Bacigalupo, habitant le Burundi, Lauréate du Prix Canon de la Femme Photojournaliste 2010. J’ai mal. Dans son texte introductif du reportage sur la nouvelle rébellion, Pauline Simonet continue : " Il faut bien le dire, le Burundi, niché au cœur de l’Afrique des Grands Lacs entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) n’intéresse guère la communauté internationale. C’est l’un des plus petits pays du continent, son sous-sol ne recèle pas de grandes richesses et son rôle régional est limité. " Au-delà du fait que les États-Unis construisent en ce moment une imposante ambassade à Kigobe, que le Burundi participe à une mission de maintien de la paix en Somalie, ce qu’il faut bien dire, par contre, c’est que le jour où les Burundais sauront les quantités de nickel que regorge leur sous-sol (ainsi que les potentialités à l’exploiter sainement) ; le jour où les Burundais comprendront vraiment ce que peut rapporter le tourisme écologique et les échanges économiques par la position clé qu’occupe leur pays sur le Tanganyika, charnière culturelle entre l’Est de l’Afrique anglophone et l’Ouest francophone ; le jour où les Burundais comprendront que la politique n’est pas la finalité d’une vie réussie, alors ce propos dévalorisant n’aura pas lieu. J’ai mal. Car, selon le reportage que nous livre France24.com, le salut du Burundi assoiffé de bonne gouvernance et de justice juste viendrait d’une rébellion nichée dans le Mulenge. En RDC. Voilà Pauline Simonet (qui "connaît bien cette région pour y avoir travaillé" selon le présentateur du plateau de "Reporter"), donnant le micro au chef-rebelle, "un militaire qui a quitté l’armée burundaise en 2006 avec d’autres pour former ce nouveau mouvement armé [...] car les autorités du Cndd-Fdd ont commencé à commettre des crimes, à tuer, à détourner de l’argent, ..." 2006, juste une année après les élections, on créait une nouvelle rébellion !, quand Bujumbura vibrait au rythme des tensions entre Nkurunziza et Radjabu, quand la nouvelle Force de Défense Nationale était encore aux prises avec le FNL, quand Pasteur Habimana appelait tendrement Agathon Rwasa " Nyenicubahiro... ", quand le Parlement comprenait encore le Sahwanya Frodebu, l’Uprona, le MRC, le Cndd, le Cndd-Fdd. Pourtant, analysant le mandat Nkurunziza I, Pauline Simonet affirme plus loin que "... il y a eu quelques années de calme [après les élections de 2005]..." (et là je suis tenté de me demander pourquoi naîtrait une rébellion alors qu’il y a le calme). La même journaliste parle d’une "...rébellion alliée au pouvoir qui a commencé à se mettre en guerre contre ce pouvoir... ". Spécialistes déclarés ou pas de l’histoire ancienne, présente et future du Burundi, je vous en conjure de m’éclairer sur le nom de cette " rébellion alliée au pouvoir " ! Mieux : " Tous les conflits [sous-entendu du Burundi, du Rwanda et de la RDC] des vingt dernières années sont nés dans cette région instable de l’Est du Congo..." analyse Pauline Simonet. Incroyable, pour un journaliste qui a travaillé dans la région ! Hallucinant, une telle affirmation ! Par conséquent, l’Accord d’Arusha qui, page 15, parle de "la nature et des causes historiques" du conflit burundais en remontant à la monarchie est à brûler (puisqu’il part d’un préambule faux !) Exit les particularités de l’histoire rwandaise, congolaise et burundaise (lisez par exemple, Madame la journaliste, la dernière interview de l’historien Jean Pierre Chrétien à Iwacu). Jetant aux oubliettes toutes les précautions de contextualisation chères au journalisme, on réduit des décennies de pleurs, de souffrances et d’espoir à un amalgame de faits qui sacralise, du coup, ce "haut lieu mythique du Mulenge" : puisque tous les maux sont partis de là, l’apaisement, ou, pour bien dire, la paix viendra de ces mêmes belles hautes montagnes... On n’est plus dans du journalisme, tout simplement. J’ai mal. Et le plus grave, c’est que faisant fi de toute précaution par rapport à l’histoire de déchirements inter-ethniques qu’a vécus le Burundi et la sous-région, la journaliste qui n’a apparemment pas pris soin de vérifier la solidité de ses sources, écoute le chef rebelle, qui, au nom de "cette rébellion dont le noyau dur est constitué de Tusti qui ont pris les armes contre le président hutu Pierre Nkurunziza ", déclare, dans un Kinyarwanda de belle facture : "Dufite abahutu benshi... ". Soit, littéralement : " Nous avons de nombreux Hutu dans nos rangs ... ". Pour une ancienne correspondante dans la région, et donc, crois-je, respectant la culture burundaise, l’une des premières règles qui régissent notre quotidien est la précaution face au détail dans nos propos. Chaque mot compte, surtout dans des moments que nous vivons. Madame Pauline Simonet, quand le Burundais entendra cette phrase, sachez qu’il ne pensera pas du tout à l’équivalent en kirundi de la traduction qu’a donnée votre interprète : " Il y a de nombreux Hutu parmi nous ..." La première phrase en kinyarwanda fait état d’une possession, la seconde, en français, est plutôt descriptive. Ce n’est pas à vous que l’on apprendra que traduire c’est trahir... Ainsi mesurez-vous, Madame la journaliste, les échos que de tels propos, qui viennent se greffer sur un "projet d’une nouvelle guerre ", peuvent avoir dans cet Est du Congo, dans notre Burundi ou au Rwanda où des âmes déchirées par des décennies d’exil autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays se comptent par millions ? Car l’image, terriblement insidieuse, qui plane sur ces propos, c’est que finalement nous irions vers une confrontation entre rebelles Tutsi (Banyamulenge, en plus, ou en tout cas rwandophones, qui ont parmi eux des Hutus, pour question de couleur) et le pouvoir Hutu de Bujumbura ( -> le président hutu Nkurunziza, préciseront Pauline et le présentateur). Or le contexte actuel, comme le rappelle Frère Ntakarutimana dans votre documentaire n’est pas à la confrontation entre ethnies : " C’est une question de lutte pour le pouvoir et pour ses dividendes ", souligne le Président de la Commission National Indépendante des Droits de l’Homme. J’ai très mal. Parce qu’aussi, dans ce travail qualifié de "grand reportage" (c’est évident, applaudissent nos chers "Burundais frustrés que ce reportage n’ait pas été diffusé", cela vient d’un grand médium international !), un boulot de professionnels aguerris, eh bien !, je suis vraiment resté sceptique. J’ai 25 ans, je suis encore relativement jeune. Je n’ai pas fait d’école de journalisme, j’ai appris le métier que j’exerce depuis trois ans sur le tas, avec un formidable monsieur, Jean Legastelois, ancien de Bayard Presse, Français, qui nous a toujours dit, en substance : " Faire le journalisme, chercher la vérité, c’est poser des questions à autant de sources divergentes nécessaires et possibles, puis condenser les données recueillies par la raison et le bon sens." Équilibrer l’information, poser la question à l’incriminé, même si celui-ci vous répond par le silence, la langue de bois ou l’injure, même si les éléments semblent le pointer avec évidence, c’est nécessaire pour la conscience professionnelle, et humaine. Or dans votre reportage, pas d’autorité burundaise qui ait été approchée pour donner la réplique aux accusations sur les origines (les persécutions de l’opposition, la corruption, ...) de cette nouvelle guerre qui se profilerait, selon vous, à l’horizon. Ne me parlez surtout pas de la minute (sur les 17 du reportage) accordée au Chef d’État-Major, dans laquelle, évidemment, le haut-gradé ne peut que tenir le langage de "dédramatiser la situation". Ô toi lecteur qui me suis, donne-moi un seul exemple d’un pays dans lequel un Général à la tête des armées a reconnu, à la première interview accordée par un grand médium international soucieux de parler de son pays, que le territoire pour lequel il porte ses galons dorés est menacé... Le Général-Major Godefroid Niyombare est plus d’ailleurs dans le ressenti, sur une lancée analytique : " Moi qui suis un ancien rebelle, je n’ai pas encore senti qu’il y a une rébellion. Je sais comment [la rébellion] naît... Ce que je vois est une situation de banditisme [du fait] de la situation économique très difficile, ... dans un pays où nous avons mis plus de vingt ans à nous affronter mutuellement, où presque tout le monde sait manier les armes ". Pauline Simonet rencontre le chef rebelle dans son fief, en RDC. Pourtant, les spectateurs s’attendraient à ce que par exemple le porte-parole de ce gouvernement qui commet " des crimes extra-judiciaire en masse (200 membres de l’opposition tués en quelques mois), dont les membres se vautrent désormais dans le luxe des villas alors que le peuple meurt de faim ", eh bien !, que le porte-parole de ce gouvernement si atypique explique tout ceci. Que l’on entende l’autre version de l’histoire, qu’il y ait de la réplique en menant une analyse qui part de 2006... Moi en tout cas, sur une si grande chaîne qu’est France 24, je m’attendais à cela. Mais de tout ceci, rien ! J’ai mal. Car je viens de lire que " FRANCE 24 porte sur l’actualité internationale un regard français fait de diversité des opinions, de débats contradictoires et de confrontation des points de vue ". Est-ce cela " ce regard français " ? Dans ma douleur, c’est alors que je me suis souvenu des paroles de Chimamanda Adichié, écrivaine nigériane qui parlait du danger, pour l’Afrique, d’une seule " version de l’histoire ". Il existerait, selon elle, un prisme unique d’appréhension, façonné par des auteurs et journalistes occidentaux pour la plupart, africains aussi par mimétisme, dans lequel l’Afrique noire serait une sempiternelle "terre noire (par le mal qui y rôde) et en même temps "verte" (comme les abords du Tanganyika sur lesquels s’ébattent les hippopotames de votre reportage), terre terriblement désordonnée, une terra incognita qui a besoin de porte-paroles charitables sur la scène internationale pour raconter, excusez !, alerter sur ses misères... Dans votre reportage, Madame Pauline Simonet, il y est question de tout cela. En tant que Burundais premièrement, et journaliste en second lieu, je soutiens la décision du gouvernement burundais : je vous encourage, au nom du respect que j’ai pour l’histoire de votre pays, et du métier que vous exercez (qui est aussi le mien), à présenter des excuses au peuple burundais. Et surtout, ne prétendez pas parler au nom de nos douleurs, dont vous ne connaissez manifestement ni l’histoire, ni les mémoires. Si moi j’ai décidé d’écrire, sachez qu’il y a des Burundais que vous rencontrerez en Europe, en Afrique, ou ailleurs, et qui, vous voyant, souriront... en pensant à leur mère chuchotant au creux de gamines oreilles : " Ijambo rigukunze rikuguma mu nda ". Car le peuple burundais est très complexe, étrange, beau, réfractaire aux simplifications, fier sous ses haillons. C’est un peuple qui ronfle les yeux ouverts. Roland Rugero, Journaliste, Auteur

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