Ce que Kony 2012 nous a caché
30 minutes de film pour rendre Joseph Kony célèbre sur la Toile et appeler à son arrestation. Plus de 70 millions de vue sur Youtube. #StopKony, une nouvelle tendance sur twitter. Pas de doute. Invisible Children a réussi son coup : faire du bruit autour du nom de ce chef rebelle ougandais de Lord's army resistance (LRA). En espace de quelques jours, le visage de Joseph Kony est désormais connu par des millions de gens dans le monde.
Pourtant, depuis 2005, ce chef rebelle ougandais est recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Ouganda entre 2003 et 2004 : réduction en esclave sexuel, viol et encouragement au viol, attaque contre la population civile, enrôlement d’enfants, traitements cruels, actes inhumains et pillages des camps de déplacés.
La video virale Kony 2012 s’arrête donc, comme le mandat de la CPI, à ces exactions imputées à Joseph Kony et à ses troupes.
Alors que toutes les organisations humanitaires et des droits humains qui travaillent en Ouganda et dans la région de l’Afrique centrale indiquent, depuis des années, que la LRA a cessé d’agir sur le territoire ougandais. Sa proie aujourd’hui se trouve ailleurs, en République centrafricaine (RCA), au sud du Soudan et surtout au nord-est de la République démocratique du Congo (RD Congo).
1. Kony 2012 nous a donc caché que Joseph Kony ne fait plus la guerre contre l’Ouganda
« Nous avons vu ces enfants. Nous avons entendu leurs pleurs. Cette guerre doit cesser », scandent des jeunes dans Kony 2012. Mais, de quelle guerre parle-t-on ? Le film laisse délibérément croire que le conflit armé entre les troupes de la LRA et le régime du président ougandais Yoweri Museveni se poursuit encore aujourd’hui sur le territoire ougandais.
On nous montre une séquence de nombreux enfants obligés de dormir dans des lieux cachés, les uns à côté des autres, pour échapper au rapt de la LRA à Gulu, en Ouganda (05.13'). Un proche du pouvoir ougandais, Santo Okot Lapolo, et le gouverneur du district de Gulu, Norbert Mao, sont même interviewés pour renforcer cette fausse impression (13.30’). « Nous sommes déterminés à coopérer avec tous les amis de l’Ouganda pour nous assurer que ce massacre insensé s’arrête », explique ce dernier. Pourtant, l’activisme des éléments de Joseph Kony à Gulu et dans l’ensemble de l’Ouganda a cessé depuis 2006.
2. Kony 2012 nous a caché aussi que Joseph Kony et la LRA constituent aujourd’hui un danger pour la RCA, le Sud-Soudan et surtout la RD Congo
Moins de 5 secondes pour dire « la LRA a commencé à se déplacer dans d’autres pays » (15.01’). Kony 2012 ne cite même pas ces pays. Comme si le film voulait que tout le monde connaisse le visage de Joseph Kony, sans savoir ce qu’il est devenu et ce qu’il fait aujourd’hui. Une absence criante de la contextualisation des faits, au point de rendre « le message du film simpliste et erroné », note Julie Owono.
Car, depuis 2006, les bruits de bottes des éléments de la LRA ne se font plus entendre à Gulu, encore moins dans le reste du territoire ougandais. Joseph Kony et ses hommes ont changé de terrain d’action. Ils pillent, violent, massacrent et enlèvent des enfants désormais en RCA, au Sud-Soudan aujourd’hui, et surtout dans la partie nord-est de la RD Congo. Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human rights watch (HRW) qui travaille sur la LRA depuis des années, souligne que « la LRA ne compte désormais qu’entre 300 et 400 hommes : une bande de bandits armés sans objectifs politiques qui se distingue toujours dans les attaques contre les populations civiles ».
Dans son rapport, Le chemin de la mort, publié en mars 2010, HRW indiquait déjà que « en 2005 et 2006, de nouvelles campagnes militaires ougandaises ont contraint la LRA à déplacer ses forces de l’Ouganda et du Sud-Soudan dans la région reculée du parc national de la Garamba dans le nord-est de la RD Congo ». Ce rapport contient une citation forte d’un chef traditionnel congolais, pleurant son fils tué par la LRA, le 19 février 2010, à Niagara (nord-est de la RD Congo). Une citation qui résume bien la situation encore aujourd’hui. « Nous avons été oubliés. C’est comme si nous n’existions pas. »
HRW a même demandé à la CPI d’ « enquêter sur les allégations de crimes récents commis par la LRA au Congo, en République centrafricaine et au Sud-Soudan, en vue d’élargir les chefs d’accusation pour les dirigeants de la LRA qui sont déjà sous le coup de mandats d’arrêt de la CPI et de formuler de nouvelles accusations contre d’autres commandants responsables d’attaques contre des civils. » Rien n’a été jusqu’à présent.
3. Kony 2012 nous a caché enfin que ce qu’est réellement l’armée ougandaise, principale bénéficiaire de la campagne
« Pour que Kony soit arrêté cette année, les éléments de l’armée ougandaise doivent le trouver ; et pour le trouver, ils ont besoin de la technologie et de l’entraînement pour le traquer dans la vaste forêt, explique Jason Russle, le narrateur du film Kony 2012. C’est pourquoi les militaires américains ont été déployés là-bas. » Que ce soit au nord de la RD Congo, en RCA ou au sud-Soudan, c’est bien l’armée ougandaise qui dirige les différentes opérations pour arrêter Joseph Kony et mettre hors d’état de nuire la LRA.
Au moment où la CPI vient de rendre son premier verdict, reconnaissant Thomas Lubunga, un milicien congolais, coupable des crimes de guerre notamment pour avoir enrôlé de force les enfants dans son groupe armé, il convient de rappeler que l’armée ougandaise était un soutien de cette milice dans la province de l’Ituri, au nord de la RD Congo entre 2002 et 2003. « C’est qui est important maintenant, souligne Anneke Wan Woundenberg, c’est que le procureur [de la CPI] continue et poursuive ses enquêtes pour savoir qui a soutenu les groupes armés en Ituri, d’où venaient les armes, qui les finançaient ». L’experte de HRW estime que « s’il [le procureur de la CPI] conduit ce type d’enquête, cela le conduira en Ouganda, au Rwanda et à Kinshasa [capitale de la RD Congo] ». En un mot, des « Kony », on les trouve partout dans cette partie de l’Afrique. Vivant dans l'impunité totale. Vous avez dit Stop Kony ? Disons plutôt Stop all 2012.
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